Pourquoi les « gilets jaunes » sont, peut-être, plus importants pour l’avenir de la planète -et donc de nos enfants- que les COP (21, 23), les forums sociaux et autres actions des altermondialistes
Par Bernard Vatrican – le 6/1/19
Ce titre, volontairement un peu provocateur, entend nous sensibiliser à une nécessaire révision de nos priorités.
L’enjeu majeur, aujourd’hui, c’est bien «la fin du monde» – sinon, plus de «fins de mois» !
Au dérèglement climatique s’en ajoutent deux autres : le dérèglement économique et social (les 60 personnes les plus riches de la planète possèdent autant que les 3 milliards les plus pauvres) ; le dérèglement politique (la perte de confiance dans le système représentatif et les élites traditionnelles, avec, comme effet induit, ce que l’on appelle la montée des populismes). Or, les trois sont liés.
C’est particulièrement visible pour les deux premiers : tant que la seule recherche du profit maximum dictera les décisions des vrais décideurs (les conseils d’administration des grandes firmes mondiales), aucune vision à long terme ne pourra s’imposer.
Il faut «changer le système» (économique), ce qui suppose une action politique. Menée par qui ? Aujourd’hui le pouvoir a glissé des mains de ceux qui sont censés agir en notre nom : d’où la crise de défiance à leur égard.
L’enjeu décisif, le seul, car il conditionne tous les autres, c’est d’arriver à prendre collectivement notre destin en main. Nous pourrons, alors, améliorer nos fins de mois mais aussi sauver la planète – car les deux, nous le verrons, vont de pair.
Et, pour ce faire, il nous faut réinventer la politique.
Concevoir de nouvelles formes de mobilisation sociale suffisamment puissantes pour porter le changement : c’est le pari que font les Gilets jaunes – mais nous sommes encore loin du compte ! Pour renforcer notre action, pour «gagner», il faut convaincre, mobiliser, emporter l’adhésion du plus grand nombre.
Cela exige un double effort : de réflexion dans un premier temps, puis de communication. Élaborer un discours clair, cohérent, qui dévoile les liens entre les trois dérèglements et ouvre des pistes pour y remédier. Qui propose moins des solutions qu’une méthode, un chemin pour parvenir à les imaginer ensemble. Une sorte de «manifeste», à diffuser le plus largement possible.
Ce ne peut être le fait de quelques-uns, même avec le concours des «meilleurs» intellectuels. Ce doit être un travail collectif, tant au niveau de son élaboration que de sa diffusion. Cela suppose, au préalable, de mettre en place les structures de réflexion et de décision ad hoc, préfigurant ainsi la démocratie de demain, celle que, concrètement, sur le terrain, par notre action, nous inventerons et ferons advenir !
Il ne s’agit plus de gagner des élections, il s’agit de forger de nouvelles formes de prises de décisions collectives, en distinguant les niveaux d’application (local, régional, national, continental, mondial).
Il nous faut resituer la revendication du R.I.C. dans ce contexte. Sinon, nous risquons de passer à côté de l’essentiel.
On peut formuler, à l’égard du R.I.C., deux objections.
- Le risque de nous détourner des enjeux globaux, et donc du combat à mener pour les atteindre, en nous focalisant sur une mesure, en soi pertinente, mais qui, à elle seule, ne permet aucunement de transformer en profondeur un système qui cherche d’ailleurs déjà à la récupérer – en la dénaturant, certes, mais avec l’espoir d’arriver, par là, à diviser le mouvement entre «jusqu’au-boutistes» et «gens raisonnables» qui accepteront «sa» réforme. En outre, s’accrocher à une revendication «fétiche» est une solution de facilité qui évite d’avoir à se poser d’autres questions, peut-être plus importantes (nous allons le voir). Si, en apparence, cela permet de mobiliser autour d’un message et d’un objectif clairs, à terme, cela risque de diviser, démobiliser et, in fine, faire échouer le mouvement – ce qui ne serait, certes, pas le cas si elle aboutissait, mais, vu le rapport de forces actuel, seule une mini-réforme a des chances de passer avec les conséquences que nous venons de voir.
-
Plus fondamentalement, il pourrait masquer donc nous faire oublier l’essentiel : si nous cessons de déléguer notre pouvoir à des représentants, comment arriver à prendre, collectivement, de bonnes décisions ? La simple addition des volontés individuelles ne garantit aucunement d’y parvenir ; une gestion correcte du bien commun exige de passer par des processus délibératifs – le vote n’intervenant, si nécessaire, qu’en conclusion d’un débat approfondi et argumenté. Il ne faut donc pas privilégier une revendication qui conforte son rôle de pivot du système libéral : le vote tel qu’il est pratiqué dans nos démocraties représentatives est le symbole de l’atomisation des volontés individuelles – c’est à cela que sert l’urne, placée, comme il se doit, dans un «isoloir» – et, donc, de l’impuissance des citoyens – face, hier, aux notables, aujourd’hui, aux «experts».
La fraternité retrouvée sur les rond-points est une magnifique réponse apportée à ce qui fonde le libéralisme et la société de consommation qui va avec : l’égoïsme, le «chacun pour soi», la compétition généralisée – «diviser pour régner» – ce qui permet à une poignée de capitalistes, de financiers, voire de mafieux, qui contrôlent nombre de politiques, de mener la politique que l’on sait – avec le concours des experts sus-cités.
Le R.I.C. ne prend donc tout son sens qu’en complément d’une réforme bien plus fondamentale qui permettra de réintroduire la rencontre, l’échange, le débat, la coopération dans la vie publique. Afin que l’expertise de la société civile remplace (complète, dans un premier temps) celle des technocrates. Pour faire de la politique un BIEN COMMUN. Sinon, nous restons dans la «monadologie» i.e. un monde d’individus isolés les uns des autres, régulé par la «main invisible» (de «Dieu» – Leibniz, 1714 – puis du «divin marché» – Adam Smith, 1776 – et, aujourd’hui, celle de la finance internationale).
C’est donc, d’abord, la dimension «politique» du mouvement qui est porteuse d’espoir, sa démarche beaucoup plus que ses revendications. Parce qu’en nous faisant prendre conscience que le nombre mais aussi la vertu et le savoir sont de notre côté, elle peut permettre de renverser le rapport de force actuel et, par contre-coup, un système qui ne satisfait vraiment qu’une poignée de nantis.
Pour enfin sortir du gaspillage, de l’obsolescence programmée, de la course aux bas salaires, de la mondialisation effrénée qui en résulte, pour arriver ainsi à réduire considérablement et conjointement les inégalités comme la pollution, et, donc, sauver la planète bien plus sûrement que par la simple augmentation des taxes sur le diésel !
D’où le titre de cet article…
Excellente analyse et vision de Bernard Vatrican. J’ajoute que le cheminement dont il parle passe par une communication qui sera plus émotionnelle. (Une communication intellectuelle, comme par exemple égrainer des statistiques, ne touche pas les gens, ne nous remue pas).